Frères
Monneron, histoire d'une faillite...
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Texte rédigé par Philippe Bouchet pour la conférence faite à la Société Sétoise de
Numismatique en novembre 2007.
À partir de 1790, conséquence de l'émission des assignats
et de la disparition de la monnaie métallique, la vie économique quotidienne de
la population, surtout urbaine, fut gravement perturbée par le manque de petite
monnaie. La plus petite coupure assignat était de 50 livres (loi du 29 septembre
1790). Au terme d'un débat animé, l'Assemblée abaissa cette valeur à
5 livres (6 mai 1791), tout en laissant le soin de la fabrication au Ministre
des Contributions, et celui du timbrage et du numérotage au Trésorier de la
Caisse de l'Extraordinaire. Mais, même émis en petites coupures de cinq livres,
l'assignat restait encore impropre au paiement des denrées et des salaires,
lesquels s'exprimaient en sous, subdivisions vicésimales de la livre (une livre
= 20 sols). Pour remédier aux troubles sociaux provoqués par cette pénurie,
l'Assemblée Constituante prescrivit donc (11 janvier 1791) la fabrication
de petite monnaie d'argent (pièces de 15 et 30 sous), de cuivre (avec le vieux
cuivre récupéré dans les arsenaux) et de bronze (avec le métal des cloches). Le
Ministre TARBÉ multiplia les rapports à l'Assemblée Constituante pour rendre
compte de son zèle à activer la frappe de cette monnaie divisionnaire (séances
du 19 juillet, du 3 août, du 19 août), mais le 6 février
1792 fut lue à l'Assemblée Législative une lettre du Ministre des Contributions
sur la fabrication des monnaies de cuivre et de métal de cloche, dans laquelle
il détaillait les hésitations de la précédente Assemblée et les difficultés
techniques rencontrées dans l'utilisation du métal de cloche, ce qui avait
ralenti la fabrication des monnaies de 3 deniers (liard), six deniers
(demi-sol), douze deniers (sol) et 2 sols( 1/10 de livre).
Pourtant en 1791,
dans un livre édité par l'Imprimerie Royale, le Conservateur du Cabinet
de Physique du Roi, l'abbé Rochon, avait présenté au Comité des Monnaies de
l'Assemblée Nationale les avantages qui pouvaient résulter de la conversion du
métal de cloche en monnaie moulée. Il préconisait par ailleurs la transformation
de ce métal en bronze de frappe par adjonction de cuivre.
Les premières
monnaies en métal de cloche de 12 deniers et 2 sols avaient été moulées et le
résultat était décevant. C'est à ce moment qu'interviennent les frères Monneron.
Ils sont issus d'une
famille de juristes huguenots,
originaires d'Annonay en Ardèche. Leur père, Maître Antoine, était avocat au
Parlement. Il avait acheté les charges de receveur du grenier à sel et des
gabelles d'Annonay en 1788. La fortune de la famille était importante.
Antoine MONNERON avait envoyé un grand nombre de ses dix
garçons aux Colonies où ils firent fortune.
Comme de nombreux protestants, quatre d'entre eux s'étaient
fortement impliqués dans le processus révolutionnaire.
Voir la biographie
des frères Monneron

Les Monnerons avaient établi des comptoirs dans les principales villes
de France
pour distribuer des denrées coloniales. Leur Comptoir principal était sur la Place du Carrousel à Paris. Les frères Monneron
jouissaient à leur époque d'une grande notoriété.
En 1790, les bâtiments du château des Célestins à
Colombier-le-Cardinal sont vendus comme biens nationaux aux frères Monneron qui
le paient en bonne monnaie. Confiants dans le processus révolutionnaire, ils
vont accumuler les assignats
En 1789, les trois aînés étaient députés aux Etats Généraux puis dans la
Constituante (octobre 1789 à septembre 1790) :
Grâce à l'appui de ses frères, Joseph François Augustin obtint le
droit de créer une Banque commerciale pour importer
de métaux en France et fournir le Département français de la Marine en argent (piastres
espagnoles fruit d'opérations commerciales) et cuivre dont la pénurie commençait
à se faire sentir en Europe. Les trois aînés ne purent plus être députés dans
la Législative. Augustin y fut alors élu comme Député de Paris.
Il y avait alors deux établissements
Monneron distincts : la Maison de Commerce et la Banque.
Outre les opérations de commerce avec l'Océan Indien, la Maison
MONNERON s'était spécialisée dans la fabrication de médailles révolutionnaires qu'elle
vendait Place du Carrousel. Les médailles concernaient
le Pacte Fédératif et les Grands Hommes prônant la Révolution
tels que
Jean-Jacques Rousseau, Lafayette, Mirabeau ... Leur graveur était Augustin
DUPRE
Le retard apporté à la
fabrication des espèces métalliques en métal de cloche et le flou de la
Constitution (« ce qui n'est pas
interdit par la loi est licite ») incita un certain nombre de
particuliers à se substituer à l'Etat pour procurer à la population les petites
monnaies divisionnaires.
Les Monneron obtinrent en 1791 l'autorisation de frapper des
pièces de monnaie de cuivre de confiance. (Personnellement je ne pense
pas).
Dès le mois de septembre ils entreprirent
une grande opération d'émission de « médailles
de confiance », constituées de deux pièces en bronze de deux et cinq
sols. Devant l'impossibilité de les faire fabriquer rapidement et en grand
nombre en France, ils utilisèrent les ateliers de Matthew
Boulton, à Soho près de Birmingham. Ces
derniers étaient équipés de machines à vapeur de Watt dont la cadence de frappe était de 40 flancs à la minute.
Les monnaies officielles de 2 sols
devaient peser 24 grammes. Les frères Monneron commencèrent fin 1791 à frapper
des 2 sols de 18 grammes « A la Liberté Assise ». En décembre ils
sortirent des 5 sols de 30 grammes « Au Pacte Fédératif ». Le succès
fut immense, le public échangeant les assignats de 50 livres contre ces médailles
monnaies. Les profits auraient pu être importants. En cinq mois ils ont, selon
R. Margolis, frappé 2 millions 250 mille monnaies en utilisant 45 tonnes de
bronze. (750.000 pièces de 2 sols et 1.500.000 de 5 sols) S'ils avaient frappé
au poids légal, ils auraient du en utiliser plus de 75 tonnes. Rien qu'en métal, ils
ont économisé 3 millions de sols, soit 150.000 livres. Seulement, ils vont se retrouver
en mars 1792 avec des assignats qui ne sont que de la monnaie de singe et il
faut payer les anglais en monnaies sonnantes et trébuchantes.
Le 2 janvier 1792, l'Assemblée
Législative avait décrété que l'an IV de la Liberté commençait le 1er
janvier 1792, alors que l'an III n'avait débuté que le 14 juillet 1791.
Les frères Monneron avaient déjà
procédé à la fabrication de coins pour 1792 portant la mention An III et ils
les utilisèrent en janvier 1792. Ils continuèrent avec la mention An IV jusqu'à ce que l'Assemblée Constituante
décide d'interdire les monnaies privées.
L'échange de ces monnaies avait
aussi lieu dans les comptoirs régionaux. En 1791 et au début de 1792, on les
trouvait à Bordeaux, Lyon, Marseille, Nantes, Nîmes et Strasbourg. Par la suite
ils le furent dans les 83 départements.
Il est curieux de constater que
l'incus de la tranche va se transformer en février 1792. DE RHONE .DE LOIRE se
transforme en RHONE ET LOIRE. La séparation en deux départements ne s'étant
faite qu'en août 1793, alors que les monnerons ont cessé d'être frappés depuis
plus d'un an, il ne peut s'agir que d'une erreur d'inscription de la tranche
lors du cordonnage.
La Société Commerciale accumulait
des assignats dans ses coffres et la Banque devait les replaçer, car la loi
stipulait qu'ils étaient productifs d'intérêt (emprunts russes avant la lettre).
Devant le succès remporté par leurs monnaies dont la qualité surpassaient les piètres
monnaies officielles, les frères Monneron décidèrent début 1792 de faire passer
le poids des monnaies de 2 sols à 14 grammes et celui des 5 sols à 27 grammes
puis à 25 sur les nouveaux types « REVOLUTION FRANCAISE » :
- Au Pacte Fédératif
- A l'Hercule brisant les
faisceaux
Le public appela alors cette
monnaie métallique de substitution les « monnerons ». Le Ministre
TARBÉ se mit en travers de l'opération : Sur instruction du Ministre, la
douane de Rouen prétendit soumettre ces médailles à un droit de 18 livres
au quintal, droit qui frappait les flancs, alors que les médailles devaient
entrer en franchise. Malgré les protestations des frères MONNERON, qui
alimentèrent une volumineuse correspondance, TARBÉ s'obstina. Les frères
MONNERON portèrent l'affaire devant les tribunaux, où ils obtinrent gain de
cause à la fin de mars 1792, au moment où TARBÉ quittait le ministère,
remplacé par CLAVIÈRE et où ils firent banqueroute faute de liquidité en or et
argent pour payer leurs fournisseurs.
En effet à la fin du mois de mars 1792, la Banque n'arrivait
plus à placer les assignats, la Société Commerciale Monneron fut donc déclarée
en faillite et Pierre qui en était le Directeur dût s'enfuir en Angleterre. Son
frère cadet Augustin qui tenait la Banque reprit l'affaire en avril, mais une
loi du 3 mai
1792 interdit la
fabrication des monnaies privées. Le stock résiduel de monnerons put être
écoulé officiellement jusqu'au 3 mai et certainement en catimini à partir de
cette date. En septembre, un décret interdit la commercialisation des pièces de
confiance. Ces monnaies de nécessité circulèrent en fait jusqu'à la fin de 1793. Un certain nombre
fut conservé par le public en tant que médaille. C'est ce qui explique que
contrairement aux deniers et aux sols « Constitutionnels », on trouve
souvent des monnerons en état Superbe.
Comme il y avait
toujours un manque de monnaies divisionnaires, il y a fort à penser que bon
nombre de ces monnerons servirent encore comme monnaies avec la valeur
correspondant à leur poids. Ne trouvait-on pas des sesterces romaines dans la
petite monnaie ?
L'usure prononcée de certains de ces monnerons pourrait
confirmer cette assertion.

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